L’intubation trachéale néonatale est une procédure fréquemment réalisée mais à haut risque pour le nouveau-né, qui se déroule notamment en salle d’accouchement ou en unité de soins intensifs néonatals (NICU)¹. Malgré son utilisation courante, elle reste une procédure complexe, en particulier face à une intubation difficile imprévue chez les nouveau-nés et les nourrissons. En raison des caractéristiques physiologiques uniques de ces patients, les néonatologues, anesthésistes et cliniciens en soins intensifs doivent intervenir rapidement pour sécuriser les voies respiratoires².
Intubation difficile chez les nouveau-nés, la nécessité de minimiser le nombre de tentatives d’intubation
L’intubation trachéale chez les nouveau-nés est associée à des risques tels que la bradycardie, l’hypoxie et des traumatismes des voies respiratoires¹. Une intubation est considérée comme difficile lorsqu’un tube endotrachéal ne peut pas être placé avec succès après trois tentatives (ou moins) pour établir la ventilation¹ ². Chaque tentative infructueuse augmente le risque de désaturation sévère en oxygène et de complications associées, compromettant davantage la gestion des voies respiratoires³.
Les nouveau-nés prématurés sont particulièrement vulnérables à l’intubation difficile¹. Le taux de tentatives d’intubation dépassant trois essais reste élevé, atteignant 65 % dans certaines salles d’accouchement. Une autre étude a rapporté que 17 % des nouveau-nés n’ont pas été intubés avec succès malgré plusieurs tentatives, tandis que 48 % ont nécessité trois essais ou plus. Un registre d’intubation, rassemblant les données de plusieurs NICU, a indiqué que 14 % des patients nécessitaient au moins trois tentatives d’intubation¹.
Il est donc important de mettre en place des stratégies visant à limiter le nombre de tentatives d’intubation tout en assurant une gestion efficace des voies respiratoires.
L’utilisation d’une bougie pour aider les intubations difficiles
Une bougie, ou introducteur de sonde endotrachéale, est un dispositif simple mais efficace qui aide à guider la sonde dans la trachée, en particulier dans les cas d’intubation difficile. Son efficacité a été démontrée chez les nouveau-nés, notamment chez ceux présentant des anomalies congénitales telles que le syndrome de Pierre Robin¹.
Cependant, bien que l’utilisation des bougies puisse augmenter les taux de succès d’intubation, leur emploi chez les nouveau-nés demeure sujet à controverse en raison des complications rapportées, comme le pneumothorax et les traumatismes bronchiques¹. Néanmoins, il est essentiel de distinguer une bougie d’un stylet : un stylet sert à rigidifier la sonde endotrachéale et ne doit pas être utilisé comme une bougie, car une mauvaise utilisation du stylet a été associée à des perforations trachéales⁴.
Une revue de la littérature suggère que l’association de l’utilisation d’une bougie avec la vidéolaryngoscopie peut améliorer les taux de réussite en cas d’intubation difficile¹. Reconnaissant l’utilité que peut présenter l’utilisation d’une bougie, plusieurs recommandations, notamment celles de la British Association of Perinatal Medicine⁴, du National Neonatal Network Guideline for Difficult Airway Management (Scottish Neonatal Network, NHS)³ et du Government of Western Australia Child and Adolescent Health Service⁵, suggèrent d’inclure une bougie dans le kit d’intubation difficile, aux côtés du matériel standard de réanimation néonatale.

Gestion de la désaturation pendant l’intubation
Les nouveau-nés sont particulièrement vulnérables à la désaturation en oxygène en raison de leur faible capacité pulmonaire résiduelle fonctionnelle et de leur demande métabolique élevée². Une étude du Pediatric Difficult Intubation Registry (PeDI-R) a révélé que l’hypoxémie survenait dans 9 % des cas d’intubation difficile. De même, le National Emergency Airway Registry for Children (NEAR4KIDS) a signalé un taux de désaturation de 13 % pour toutes les intubations et de près de 50 % pour les intubations difficiles. Le National Emergency Airway Registry for Neonates (NEAR4NEOS) a rapporté une incidence encore plus élevée d’hypoxie, atteignant 42 % lors d’intubations non difficiles et 75 % en cas d’intubations difficiles⁶.
L’hypoxie pendant l’intubation peut entraîner des complications graves, telles que la bradycardie⁷ ou un arrêt cardiaque⁸. L’objectif principal est donc de maintenir une oxygénation adéquate jusqu’à la sécurisation définitive des voies respiratoires³.
Certaines bougies permettent une insufflation d’oxygène pendant l’intubation, aidant ainsi à prévenir l’hypoxie. Toutefois, bien que cette technique puisse réduire les risques de désaturation, elle doit être utilisée avec prudence pour éviter une hyperinflation pulmonaire, notamment en cas de laryngospasme.
Le risque de laryngospasme
Le laryngospasme est un réflexe de protection empêchant les substances étrangères de pénétrer dans les voies respiratoires inférieures. Il provoque une fermeture soudaine des cordes vocales, entraînant une obstruction partielle ou complète des voies respiratoires et pouvant induire une hypoxie⁹. Ce réflexe peut être déclenché lors de manipulations des voies respiratoires, comme la laryngoscopie ou les tentatives d’intubation. S’il n’est pas pris en charge rapidement, le laryngospasme peut entraîner des complications sévères, notamment un œdème pulmonaire, voire des issues fatales¹⁰.

Bien que l’oxygénation pendant l’intubation soit essentielle, une pression excessive dans les voies respiratoires en présence d’un laryngospasme peut provoquer un barotraumatisme. Une bonne gestion des voies respiratoires doit donc trouver un équilibre entre une oxygénation adéquate et la minimisation du risque de barotraumatisme en cas de spasme. C’est pourquoi une bougie optimale devrait comporter des ouvertures de décompression permettant à l’excès d’oxygène de s’échapper via le tube principal de la bougie, évitant ainsi une accumulation excessive de pression dans les voies respiratoires en cas de laryngospasme.
Conclusion
L’intubation néonatale difficile reste un défi clinique majeur, nécessitant souvent plusieurs tentatives d’intubation qui augmentent le risque de complications. Les bougies sont des dispositifs utiles pour améliorer les taux de succès d’intubation. En permettant également l’oxygénation et la décompression (via des ouvertures) en cas de laryngospasme, afin de prévenir le risque de barotraumatisme, l’utilisation d’une bougie peut contribuer à améliorer la sécurité lors de l’intubation néonatale.
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