La nutrition entérale est la méthode la plus recommandée pour administrer des nutriments aux patients incapables de s’alimenter par voie orale. Bien que les complications soient moins nombreuses qu’avec d’autres méthodes de nutrition, cette méthode n’est pas totalement sans risques.
Les erreurs de connexion des sondes avec une ligne intraveineuse (IV) ou un système de ventilation, potentiellement fatales, constituent les principaux incidents liés à l’administration de la nutrition entérale. Ces erreurs de connexion peuvent engendrer de graves conséquences, allant jusqu’au décès du patient. Heureusement, des dispositifs conçus pour prévenir les erreurs de connexion sont disponibles, bien que ces systèmes de sécurité ne soient toujours pas implémentés dans de nombreux pays.
L’inquiétude suscitée par ce problème a conduit des institutions telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la FDA (Food and Drugs Administration) à exprimer leur préoccupation face à la fréquence de ces événements.
Afin de réfléchir à cette situation qui met en péril la sécurité des patients néonatals, nous nous sommes entretenus avec Rosa Collado, responsable des soins aux patients pédiatriques et néonatals à l’hôpital universitaire de Catalogne du groupe Quirón Salud.
Dans cet entretien, Rosa explique l’importance de créer une culture de sécurité au sein de l’unité de soins intensifs néonatals et la transformation que cela implique dans les procédures de routine du service. De plus, elle nous parle des événements mortels survenus en Espagne et qui ont conduit à l’adoption de systèmes de connexion sécurisés pour la nutrition entérale. Elle explique également les avantages et les enseignements tirés de ce changement. Vous pouvez consulter l’intégralité de l’interview sur ce lien (disponible uniquement en espagnol) :
ERREURS DE CONNEXION
Par « erreur de connexion », nous faisons référence au fait de raccorder par inadvertance un cathéter, une sonde ou une tubulure à deux systèmes de distribution incompatibles, ce qui peut entraîner l’administration de liquides par une voie inappropriée. Ces erreurs peuvent être totalement évitées grâce à la disponibilité de systèmes de connexion spécifiques et sécurisés conçus pour prévenir ce type d’erreur.

FACTEURS FAVORISANT L’ERREUR DE CONNEXION
Ces événements sont causés par les conditions défavorables et fréquentes dans les unités de soins intensifs, où plusieurs facteurs contribuent à la survenue d’accidents :
- Manipulations fréquentes des nouveau-nés : Les nouveau-nés sont soumis à des manipulations constantes, ce qui augmente le risque d’erreurs humaines.
- Progrès en néonatalogie : Les avancées médicales ont permis la survie des nourrissons dans des conditions extrêmement critiques. Cependant, cela a entraîné une augmentation du nombre de connexions d’appareils médicaux nécessaires pour ces patients, ainsi que de multiples points d’accès pour différentes voies d’administration, créant des opportunités de mauvais raccordements.
- Environnement sous haute pression : Les unités de soins intensifs néonatals (NICU) sont des environnements très stressants en raison de la vulnérabilité des patients et de la fréquence des urgences soudaines…
- Formation insuffisante : Dans certains cas, les professionnels de santé peuvent manquer de l’éducation ou de la formation nécessaire pour prendre en charge des patients critiques, comme les nouveau-nés prématurés.
- Conditions environnementales défavorables : Des éléments tels qu’un manque de luminosité dans les unités de soins intensifs néonatals peuvent faciliter le passage inaperçu de certaines erreurs.
- Limites de communication des patients : : L’incapacité des nouveau-nés à signaler une erreur accroît également le risque de fautes.
Les erreurs humaines et les défaillances des systèmes étant inévitables, il est essentiel de mettre en place des barrières telles que des protocoles ou l’adoption de dispositifs de sécurité. Ces mesures visent à instaurer une culture de prévention des erreurs plutôt qu’une culture de réparation, car, dans certains cas, les conséquences peuvent être irréversibles. Ces conséquences auront un impact direct sur la morbidité et la mortalité des patients, pouvant entraîner des embolies, des septicémies, des insuffisances cardiaques et respiratoires aiguës, des lésions neurologiques permanentes, et, dans certains cas, la mort.
L’AFFAIRE RYAN, L’ERREUR FATALE QUI A ENTRAÎNÉ LA MODIFICATION DES CONNEXIONS SECURISEES POUR LA NUTRITION ENTÉRALE
En Espagne, l’utilisation de systèmes de connexion sécurisés, conçus pour empêcher l’administration de fluides par des voies inappropriées, est aujourd’hui largement répandue et encadrée par des protocoles. Cependant, cette transition vers une culture axée sur la sécurité et l’utilisation de connecteurs spécifiques a été précipitée par un événement tragique, connu sous le nom de l’affaire Ryan.
L’histoire du petit Ryan a alimenté le débat public, médiatique et social pendant des mois. La mère de Ryan, enceinte de 29 semaines, a été la première femme enceinte du pays à contracter la grippe porcine. Elle donna naissance à un nouveau-né prématuré très fragile. Quelques jours après la naissance, une série d’événements dramatiques s’est produite, aboutissant au décès tragique du petit Ryan.
À l’hôpital Gregorio Marañón, à Madrid, où il a été admis en raison de sa prématurité, une urgence s’est produite dans une chambre voisine de celle où se trouvait Ryan. Le personnel spécialisé de l’unité s’occupait de cette urgence. Dans ce contexte, une infirmière d’un autre service s’est portée volontaire pour aider à s’occuper des autres patients. Chargée de connecter une alimentation entérale pour Ryan, elle a commis une erreur en la branchant sur une ligne intraveineuse, ce qui a tragiquement entraîné le décès du patient.

À l’époque, seule l’erreur individuelle a été prise en compte, et l’infirmière a été accusée de négligence médicale sans considérer que l’hôpital ne disposait ni des protocoles, ni des dispositifs de sécurité spécifiques qui auraient permis d’éviter une telle erreur.
MISE EN PLACE D’UN SYSTÈME DE SÉCURITÉ ET DE CONNEXION SPÉCIFIQUE
Cet incident a conduit à la mobilisation et à la sensibilisation de l’opinion publique ainsi que des professionnels de santé. De nombreux professionnels savaient déjà que des erreurs de connexion pouvaient survenir, car la littérature soulignant les conséquences de telles erreurs, existait depuis les années 1970. De plus, des méthodes de test pour prévenir ces erreurs avaient été développées, bien que celles-ci ne soient pas infaillibles.
Le manque de mesures de sécurité fiables a également affecté la confiance des professionnels de santé, créant un obstacle supplémentaire à une prise en charge efficace des patients.
Ce tournant a mis en évidence l’importance cruciale d’utiliser des dispositifs de connexion sécurisés dans les unités néonatales. Certaines unités ont même commencé à adopter des systèmes plus avancés qui, en plus de respecter les normes de sécurité, répondent à deux exigences clés supplémentaires : répondre aux besoins spécifiques des patients prématurés et garantir une précision dans l’administration des doses.

Ce changement a marqué une étape décisive vers la promotion d’une culture de sécurité. Comme pour tout changement, une courbe d’apprentissage a été nécessaire ; cependant, elle s’est révélée relativement fluide. Les équipes responsables de la nutrition entérale ont rapidement reconnu les avantages de ces changements, tant en termes d’efficacité du flux de travail que de sécurité des patients.
La mise en œuvre de ces dispositifs de sécurité a également stimulé le développement de nouveaux protocoles, élaborés grâce à la collaboration de tous les professionnels impliqués dans le processus de nutrition entérale. Ces protocoles se sont avérés particulièrement utiles pour les nouveaux membres du personnel, les aidant à s’adapter aux pratiques et aux routines de l’unité. Ils servent également de référence fiable pour répondre à toute incertitude qui pourrait survenir dans le cadre de leur travail.

LA CULTURE DE LA SÉCURITÉ DANS L’UNITÉ DE SOINS INTENSIFS NÉONATALS
Les professionnels de santé sont de plus en plus impliqués dans l’instauration d’une culture de la sécurité au sein de leurs unités de soins. L’émergence de nouveaux profils, tels que les infirmières référentes en matière de sécurité, a permis d’enrichir les connaissances, la formation et les preuves scientifiques, tout en favorisant l’application de ces savoirs dans la pratique des soins.
De plus, la présence de ces rôles a contribué à instaurer une culture d’acceptation et de signalement des erreurs, dans le but d’en tirer des enseignements et de mettre en place les mesures nécessaires pour prévenir leur réapparition.

Il est cependant important de continuer ce travail et d’obliger tous les professionnels de santé à être engagé dans la sécurité du patient, sans se reposer sur des méthodes de travail figées, dictées par la routine ou par l’économie.
L’équipe qui œuvre quotidiennement auprès des patients est la mieux placée pour comprendre les besoins spécifiques de l’unité. C’est à elle qu’il incombe, à travers la bibliographie, les preuves scientifiques et le témoignage de la réalité vécue en unité de soins intensifs néonatals, de mettre en place les changements nécessaires.
Il est crucial de ne pas se laisser envahir par la familiarité du quotidien, car la pratique des soins et les connaissances en matière de santé doivent évoluer constamment. Adoptez une culture de la sécurité dans votre service et misez sur l’utilisation de dispositifs sûrs et spécifiques pour l’administration de la nutrition entérale aux nouveau-nés !