Comment mon moniteur peut-il identifier les erreurs de mesure de la pression artérielle et éviter les mauvaises décisions thérapeutiques ?

Stefano Romagnoli

22 Déc, 2025

L’importance d’une bonne morphologie de l’onde de pression artérielle

Dans notre pratique quotidienne en anesthésie et en soins intensifs, nous utilisons en permanence des moniteurs qui reproduisent la courbe de pression artérielle et mesurent ses valeurs, communiquant ainsi au clinicien les données relatives à la pression artérielle systolique, diastolique et moyenne.
Cependant, chez 1 patient sur 3, la morphologie reproduite par le transducteur de pression et le moniteur est incorrecte, ce qui entraîne des diagnostics inexacts et des erreurs thérapeutiques potentielles.

Les erreurs thérapeutiques constituent l’un des principaux risques dans la pratique clinique. Comprendre la morphologie correcte de la courbe de pression artérielle et les artefacts qui peuvent l’affecter est la première étape pour les éviter.

Cet article résume la conférence donnée par le professeur Stefano Romagnoli lors du VYHEMDAYS 2025, qui nous rappelle l’importance d’une bonne mesure de la pression artérielle et l’ampleur du problème. Il partage également des solutions pratiques et claires sur ce que nous pouvons faire pour diagnostiquer la distorsion de la forme d’onde et améliorer sa représentation et son analyse.

Si vous n’avez pas le temps, nous vous résumons l’article en 1 minute

De nombreux professionnels se fient aux mesures affichées sur leurs moniteurs sans vérifier la qualité de l’onde de pression artérielle visualisée. Cependant, environ 30 % des ondes contiennent des artefacts, ce qui peut entraîner des erreurs de diagnostic et, dans de nombreux cas, un traitement inapproprié du patient. Le choix d’un cathéter artériel adapté, l’utilisation d’un dispositif d’amortissement ou d’un filtre électronique sont trois mesures qui peuvent être prises pour obtenir une onde de bonne qualité.

PRESSION ARTERIELLE = DEBIT CARDIAQUE ?

Bien qu’il soit courant dans la pratique clinique d’utiliser la pression artérielle (en particulier la pression artérielle moyenne) comme substitut du débit cardiaque, il faut bien comprendre que ces paramètres n’ont pas nécessairement une corrélation cliniquement significative, car le débit et la pression ne sont PAS la même chose. Les résistances vasculaires systémiques (ou tonus vasculaire, ou impédance vasculaire) jouent un rôle clé dans la relation entre la pression et le débit, en modifiant l’interaction entre les deux.

Nous considérons toujours la mesure directe et continue de la pression artérielle à l’aide d’un cathéter artériel comme la référence absolue pour les patients chirurgicaux à haut risque. Cependant, même cette méthode est sujette à des artefacts… Pourquoi ?

Il peut y avoir une réponse dynamique inadéquate dans le système cathéter-tube-transducteur, ce qui influence considérablement le signal visualisé, donnant ainsi lieu aux phénomènes bien connus de suramortissement et de sous-amortissement (ou résonance).

Fig. 1 Les trois exemples de formes d’onde. Dans le premier cas, l’interaction entre le système cardiovasculaire et le transducteur de pression est optimale et l’onde reproduite sur le moniteur n’est pas déformée, ce qui permet une mesure correcte des valeurs de pression ; les deuxième et troisième cas montrent respectivement une condition de sous-amortissement et de suramortissement de l’onde, entraînant une déformation de l’onde et des calculs incorrects de la pression artérielle.
Environ 30 % de nos ondes de pression artérielle, détectées en salle d’opération ou en unité de soins intensifs, présentent des artefacts de sous-amortissement (résonance)

À cette occasion, je voudrais me concentrer sur la résonance, car elle est plus difficile à identifier que le suramortissement. Nous devons garder à l’esprit un chiffre frappant :

Les artefacts de résonance de forme d’onde affectent environ 30 % de nos patients pendant une intervention chirurgicale ou en soins intensifs.

Cela signifie qu’environ 3 patients sur 10 pourraient faire l’objet de diagnostics et de décisions thérapeutiques erronés.

Nous savons que la physiologie de l’onde de pression artérielle est très complexe et résulte de l’interaction dynamique entre le volume systolique, la compliance artérielle, la résistance au flux, la rigidité vasculaire… Chaque battement cardiaque recèle une multitude d’informations. Par conséquent, les artefacts impliquent des données erronées dans les différents paramètres que nous observons sur le moniteur. Dans une étude réalisée en 20221, nous avons fait référence à la surestimation du dépassement systolique qui se produit couramment dans les cas de résonance et qui conduit souvent à une surestimation du débit cardiaque lorsqu’un algorithme de calcul (estimation) du débit (appelé analyse de l’onde de pouls ou du contour du pouls) est appliqué à la courbe :

«En comparant les ondes résonnantes avec et sans l’application d’un filtre électronique dynamique innovant (spécialement conçu pour identifier et corriger le signal artériel résonnant), nous avons observé que l’onde analysée présentait une surestimation de 91 % du débit cardiaque.»

Fig. 2 Mesures individuelles du débit cardiaque basées sur l’analyse de l’onde de pouls de l’artère radiale avec et sans filtrage électronique ou mécanique par résonance (Foti et al. Br J Anaesth. 2022)1.

Une surestimation de la pression artérielle systolique et/ou du débit cardiaque peut conduire à un diagnostic erroné, qui peut à son tour entraîner un traitement insuffisant ou excessif du patient et, en fin de compte, nuire au patient et éventuellement entraîner une perte de confiance de la part du médecin dans le système de surveillance sur lequel il s’appuie.

CAS REEL EN SALLE D’OPERATION : QUAND L’ONDE MENT

Je voudrais que vous vous joigniez à moi pour examiner un cas réel et que vous imaginiez que vous êtes avec moi dans la salle d’opération.

  • Il s’agit d’un patient de 15 ans à faible risque qui subissait une chirurgie hépatique à haut risque. Au départ, les paramètres hémodynamiques étaient stables.
  • À la suite d’une hémorragie d’environ 2 000 ml, elle a développé une tachycardie associée à une augmentation inattendue de la pression artérielle systolique (de 91 à 136 mmHg), du débit cardiaque (de 4 à 11 l/min), du dP/dt maximal (de 0,66 à 1,55 mmHg/ms), CCE (de 0,38 à 0,50) et une réduction de l’élastance artérielle (de 0,93 à 0,83 mmHg/ml).
  • Ces valeurs, en particulier l’augmentation du débit cardiaque pendant le saignement, sont physiologiquement invraisemblables.
  • L’activation du système nerveux autonome seule ne pouvait PAS justifier un changement de l’hémodynamique systémique dans ce sens.
Fig. 3 Diapositive tirée de la conférence du professeur Stefano Romagnoli lors des VYHEMDAYS 2025.
  • Un artefact de résonance dans la forme d’onde a été suspecté et confirmé.
  • Après correction du signal, les chiffres obtenus étaient, bien que « moins bons » (plus pathologiques), plus cohérents : diminution significative du débit cardiaque, augmentation de la VPD (variation de la pression différentielle), diminution de la pression artérielle, augmentation de l’élastance artérielle et diminution du CCE.

Ce cas illustre comment une forme d’onde artificielle peut masquer une condition de faible débit2. Des informations incorrectes nous conduiront à effectuer des traitements incorrects et à prendre de mauvaises décisions.

COMMENT DETECTER LES ARTEFACTS DANS L’ONDE DE PRESSION ARTERIELLE ?

Il existe plusieurs façons de suspecter un artefact de résonance ou de suramortissement :

  1. Analyser la morphologie de l’onde de pression artérielle.
  2. Mesurer la différence entre la pression artérielle non invasive (dans ce cas plus fiable) et invasive (NIBP-IBP).
  3. dP/dtmax : une valeur supérieure à 1,67 mmHg/ms peut indiquer la présence d’artefacts de résonance3.
LES ARTEFACTS NE NAISSENT PAS SUR L’ÉCRANE ; ILS S’Y REFLÈTENT

Les artefacts ne sont pas un problème propre à une marque de moniteur, mais résultent plutôt d’une distorsion générée par l’ensemble du système de transduction du signal (transducteur, tube d’extension, cathéter, artère, etc.). Ils affectent TOUS les moniteurs qui mesurent la pression artérielle, et plus encore ceux qui utilisent le contour de l’onde de pouls pour estimer le volume systolique et le débit cardiaque.

Par conséquent, la qualité de la transmission de l’onde de pression artérielle est cruciale. La réponse dynamique du système dépend de plusieurs facteurs, notamment la longueur et le rayon interne du cathéter. Nous savons déjà que les cathéters de plus grand diamètre (par exemple, 18 G) sont beaucoup plus susceptibles de générer une résonance que les cathéters plus petits (par exemple, 20 G).

Cette caractéristique provient de la formule du coefficient d’amortissement où le rayon du cathéter est situé au dénominateur et élevé à la puissance trois.

Fig. 4 Formule du coefficient d’amortissement (β)

Disposer du bon signal est la première étape pour éviter des erreurs majeures dans nos décisions diagnostiques et thérapeutiques.

COMMENT ÉVITER LES ARTEFACTS ?

Le choix du cathéter approprié et la vérification de la réponse dynamique du système de transducteur sont deux facteurs clés pour obtenir une forme d’onde correcte. Obtenir un bon signal est la première étape ; nous devons nous assurer que le transducteur de pression ne présente aucun problème avant d’examiner les informations fournies par le moniteur (c’est-à-dire les valeurs de pression artérielle).

De plus, il existe des filtres mécaniques qui peuvent être ajoutés à l’intérieur de la ligne de pression artérielle ou des moniteurs de débit cardiaque équipés de  filtres électroniques qui permettent de corriger automatiquement la forme d’onde, éliminant ainsi la distorsion due à la résonance et fournissant des estimations plus fiables de la pression artérielle et du débit cardiaque.

Fig. 5 Aspects clés pour éviter la résonance dans la forme d’onde de la pression artérielle.

En résumé, nous devons garder à l’esprit ces 4 facteurs :

  • Vérifiez correctement la réponse dynamique du système cathéter-tube-transducteur. (test de rinçage rapide)
  • Utilisez si possible des cathéters de plus petit calibre (20G plutôt que 18G).
  • Utilisez un filtre électronique. L’activation du filtre permet de corriger les artefacts et s’est avérée très efficace, contribuant à une meilleure prise de décision.
Prendre conscience du problème est la première étape pour la résoudre

Bien que la littérature scientifique sur les dispositifs à ondes de pression remonte à 1949, avec des publications clés dans les années 1980 et un regain d’intérêt au cours de la dernière décennie, les professionnels de santé restent insuffisamment sensibilisés à ce problème.4

En résumé, si un patient nécessite une surveillance invasive continue de la pression artérielle, il est essentiel que ces informations soient précises. Les moniteurs de débit cardiaque sont des outils importants, mais ce sont les interventions thérapeutiques qui sauvent des vies, et celles-ci sont basées sur les données que nous lisons. Nous ne pouvons pas travailler correctement avec des courbes affectées par des artefacts.

La clé réside dans la fiabilité du chiffre fourni par le moniteur. Cette fiabilité ne peut être obtenue que si l’appareil analyse une forme d’onde correcte.

Bien que tous les moniteurs ne soient pas équipés de filtres automatiques, il est essentiel que les cliniciens sachent identifier le problème et le corriger, afin de garantir que les décisions thérapeutiques soient fondées sur des données précises, évitant ainsi les erreurs thérapeutiques.

« Nous ne pouvons pas continuer à travailler avec des mesures de tension artérielle incorrectes. Nous pouvons identifier le problème et devons le corriger. »

Prof. Stefano Romagnoli

RÉFÉRENCES

  1. Foti L, Michard F, Villa G, Ricci Z, Romagnoli S. The impact of arterial pressure waveform underdamping and resonance filters on cardiac output measurements with pulse wave analysis. Br J Anaesth. 2022 Jul;129(1):e6-e8. doi: 10.1016/j.bja.2022.03.024. Epub 2022 Apr 19. PMID: 35459533.
  2. Michard F. Towards the automatic detection and correction of abnormal arterial pressure waveforms. J Clin Monit Comput 38, 749–752 (2024). https://doi.org/10.1007/s10877-024-01152-3
  3. Romagnoli S, Ricci Z, Quattrone D, Tofani L, Tujjar O, Villa G, Romano SM, De Gaudio AR. Accuracy of invasive arterial pressure monitoring in cardiovascular patients: an observational study. Crit Care. 2014 Nov 30;18(6):644. doi: 10.1186/s13054-014-0644-4. PMID: 25433536; PMCID: PMC4279904.

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